•  

    Vidocq - 2

     

    Les rues de Paris en 1811 sont de véritables coupe-gorge. Si Napoléon faisait trembler l’Europe, dans la capitale, ce sont les brigands qui font la loi. Le crime prospère sous toutes ses formes? Chaque nuit, on pille et l'on tue à la lueur des réverbères. Trente vols en une seule nuit au Faubourg Saint-Germain ! L'Empereur lui-même a été cambriolé deux fois. Et l'on ne compte plus les parisiens éventrés.

    La police est d'un totale inefficacité : quelques bureaucrates, objets du mépris général, qui ne tiennent pas à risquer leur peau pour un salaire dérisoire. 

    François Vidocq, le bagnard, va rapidement mettre de l'ordre dans tout cela. Au début, ses moyens sont des plus modestes : on ne lui a confié qu'un seul agent pour le seconder dans son entreprise. Mais il va se charger lui-même du recrutement. Pour partir à l'assaut des bastions du meurtre et du vol, il ne lui faut pas des enfants de chœur. Vidocq sait où trouver les hommes dont il a besoin. Son principal terrain de prospection sera le monde des repris de justice, qu'il connaît bien, il arrache ainsi du bagne ou de la prison des condamnés souvent injustement victimes des rigueurs de la loi. : le vol d'un pain ou d'une poule vous entraînait souvent de ce temps-là, à l'ombre de la potence. D'emblée, ces hommes lui sont acquis, Vidocq les dresse rapidement. Il entend régner sur eux en véritable chef de bande. La première "police parallèle" de France est née. Son réseau mis en place, les résultats ne se font pas attendre. A l'école des mauvais garçons, Vidocq n'a plus rien à apprendre. Il connait tous les trucs, toutes les astuces de la pègre. Il peut se permettre de l'attaquer sur son propre terrain. Il a ses indicateurs, ses mouchards. Et il ne s'embarrasse d'aucune tracasserie administrative. 

      Il n'a de compte à rendre qu'aux plus haute instances de la police. 

    Vidocq, qui s'est intitulé sans ambages "chef de la Sécurité", frappe vite et fort. Avec l'aide de ses "barbouzes", il réussit coup sur coup plusieurs arrestations spectaculaires qui le rendent célèbre du jour au lendemain. Son système est bien au point : la première année, il mettra près de 2000 malfaiteurs hors d'état de nuire et cette cadence ne fera que s'accélérer. Vidocq paye de sa personne. Dans le petit bureau de la rue Saint-Anne qu'on lui a aménagé comme siège de ses services, on ne ne trouve presque jamais. Il participe , de jour comme de nuit, aux expéditions et se réserve personnellement les plus gros risque. Il fait plus de travail que toutes les autres polices de France réunies. Le "milieu" parisien l'a surnommé  "le mec", ce qui dans l'argot du temps signifie "le chef". Son nom, murmuré avec une terreur quai superstitieuse, suffit à glacer d'effroi le plus endurci des criminels. On lui confie bientôt les missions les plus difficiles. Là où ses collègues ont vainement piétinés pendant des mois, Vidocq triomphe en une semaine. Rien n'échappe à ses investigations. Son flair est infaillible pour démasquer un malfaiteur avant même d'avoir réuni les preuve pour le confondre. Sa renommée qui se répand dans toute la France ne va pas sans lui attirer de solide inimités et de perfides jalousies. Mais chacun s'accorde à lui reconnaître une incomparable efficacité, qui lui vaut le respect même de ses ennemis. On le craint et on lui obéi.   

     On lui donne du "Monsieur Vidocq" et même du "Monseigneur", le bagnard, l'aventurier est devenu homme du monde. Les plus hautes personnalités du régime qui se trouvent dans un mauvais cas et qui désirent éviter le scandale s'adresse à lui pour le charger des missions les plus délicates. Au cours de rendez-vous clandestins, on lui confie les secrets les plus intimes, les plus terribles. Parallèlement, sa fortune et ses influences s'accroissent. Il consacre une grande partie de son argent à perfectionner sans cesse son réseau d'informateurs, dont les ramifications s'étendent maintenant dans toute la France. Il est au courant de tout ce qui se passe dans tout les milieux. Vidocq refuse pourtant de constituer des fichiers. Il fait confiance à sa prodigieuse mémoire pour enregistrer le flot de renseignements qui lui parviennent chaque jour.

    Vidocq s’acharne à dénoncer le mal partout où il se trouve. Il n'hésite pas à dénoncer les débauches de tel magistrat réputé incorruptible ou de tel politicien réputé intouchable. Aucun tabou ne l'arrête, rien ne l'intimide. Chacun s'interroge sur la puissance occulte de ce justicier audacieux, qui ne possède pourtant que son sang-froid, son courage et sa perspicacité. Mais Vidocq, pour les avoir fréquentés de près et dans tous les mondes, connait bien les hommes, leurs faiblesses de leurs lâchetés. 

    L'impitoyable "Monsieur Vidocq" n'a cependant pas tout à fait oublié les années noires du passé. S'il est à l'occasion le détective privé des riches et des puissants, il sait aussi être l'homme de confiance des déshérités, des malchanceux, des criminels. Ne l'a-t-on pas surnommé le "banquier des bagnards ?". Il lui arrive de laisser filer un malfaiteur, de lui donner sa chance, cette chance que lui-même s'était vu si longtemps refuser.

    L'activité de "général en chef" de François Vidocq ne se ralentira jamais au cours des dix-sept années durant lesquelles on lui permettra d’exercer son dangereux métier. Le premier chef de la "Sûreté" François traversera ainsi avec une même obstination les régimes politiques  aussi variés que le Premier Empire, la Restauration, la Monarchie de juillet, la IIe République et le Second Empire. Dix-sept années d'exploits fantastiques en ont fait aux yeux de l'opinion publique l'homme dont on ne peut plus se passer.

    La légende s'est rapidement emparée de Vidocq, mais elle semble toujours un peu en retard sur la réalité. L'existence du commissaire-bagnard dépasse vraiment tout ce qu'on a pu raconter de lui. Vidocq n'a rien à envier aux performances les plus fracassante des James Bond ou Lemmy Caution de la fiction. Il risque sa vie plusieurs fois par jours, affronte en combat singulier les plus cyniques criminels. Les plus jolies filles de France, fascinées par cet ancien forçat devenu gentilhomme, se disputent ses faveurs. Car les femmes sont restées sa plus grande consolation dans l'existence. 

    Dans tous les milieux, dès qu'on parle de Vidocq, en bien ou en mal, c'est en terme excessifs. Il enthousiasme ou il exaspère. On le déteste ou on l'adore, mais il ne laisse plus personne indifférent. Il empêche même beaucoup de monde de dormir. Il sait tant de choses ! N'est-il pas devenu le véritable chef de la police de France, presque un ministre.

    Lentement mais implacablement, les jalousies, les rancunes, les désirs de vengeance vont s'accumuler contre lui. Mais avant que les politiciens ingrats ne parviennent à se débarrasser de ce serviteur devenu encombrant, Vidocq signera encore nombre de glorieux exploits, dont il serait vain de vouloir dresser une liste complète.

    Un jour, Vidocq prend place dans la diligence que, selon ses indicateurs, une bande dot attaquer en cours de route. C'est au sabre et au pistolet qu'il mettra les malfaiteurs hors de combat. C'est également à la pointe de son couteau qu'il amènera jusqu'à son bureau des meurtriers arrêtés en chemin. 

    Vidocq fut chargé notamment de mettre fin aux activités de nombreux faux-monnayeurs. Pour se familiariser avec ce milieu, il aura recours à tous les subterfuges qu'il utilisait jadis : déguisements, fausses identités. Pour démasquer un suspect qui avait résisté à tous les interrogatoires, Vidocq se fait emprisonner avec lui. Pendant plusieurs jours, pour gagner sa confiance, il joue une incroyable comédie de désespoir, crie à l'injustice, rate même un suicide. Une maîtresse vient cependant le voir dans sa cellule. Le faux-monnayeur, enfin abusé veut utiliser cette femme pour lui faire porter un message à ses complices. Le lendemain, le faussaire, trahi par sa maladresse, se retrouve dans le bureau du commissaire Vidocq, son récent compagnon de geôle.

    Vidocq se réservait généralement les tueurs dangereux mais aussi cette sorte d'escrocs faussaire, se prévalant de nombreux titres de noblesse et qui cachaient leurs filouteries sous des grands airs de gentilshommes. 

        Un jour, à l'entrée d'un restaurant à la mode, Vidocq, déguisé en garçon de café, met la main au collet d'un colonel chamarré de décoration, qui dupait et escroquait impunément depuis des années plusieurs notable de la bonne société. Une autre fois, il soulève à bout de bras, au milieu du tollé général le faux marquis qui s'indignait de ses manières de rustres et le jette ficelé dans son fiacre : Vidocq avait reconnu en lui un ancien compagnon de bagne qui avait reprit ses activités frauduleuses au détriment de l'Etat. 

    Le commissaire Vidocq est aussi passé maître dans l'art de l'interrogatoire. Beaucoup de ses méthodes sont encore d'application dans la police d'aujourd’hui. Il sait alterner avec beaucoup de psychologie la ruse, la candeur, l'effronterie, le bluff. Il désoriente le suspect par ses volte-face subites, lui laisse croire jusqu'au bout qu'il est dupe de tous ses mensonges. Il n'y a que la force que Vidocq ne se résout jamais à employer car il n'a pas oublié les bastonnades que lui infligèrent jadis ses nombreux garde-chiourne. 

    Le soir de la Saint-Sylvestre 1812, Vidocq a tendu un piège à un dangereux chef de gang qu'il traque depuis des mois.

    Trois de ses hommes l'accompagnent pour cette périlleuse capture. Mais la souricière s'annonce longue et Vidocq congédie bientôt ses adjoints pour ne pas leur faire manquer leur repas du réveillon. Quelques instants plus tard, le commissaire, seul, arrêtait "au nom de la loi" son malfaiteur. Mais avant d'aller remettre sa prise à la préfecture, Vidocq décide de fêter à son tour, en cours de route, le nouvel an. Il emmène le bandit au restaurant, lui ligote les jambes à sa chaise et les deux hommes réveillonneront en tête à tête. A la fin du repas, le in aidant, Vidocq a recueilli tous les aveux du tueur, devenu doux comme un agneau et attendri jusqu'aux larmes.

    Un autre jour, Vidocq surprend un criminel au chevet de sa femme en train d'accoucher. Il passe les menottes au bandit et l'attache au lit. L'homme le supplie de le laisser partir à la recherche d'une sage-femme. Vidocq hésite une seconde puis retrousse ses manches : "Ne vous tracassez pas. S'il est vrai que Louis XIV a accouché Mlle de La Vallière, je ne vois pas pourquoi je n'accoucherais pas votre femme. " Et quelques instants plus tard, Vidocq brandissait au-dessus de sa tête un garçon de 4 kilos dont il acceptait séance tenante d'être le parrain.

    Toutes les arrestations ne s’effectuaient pas cependant  avec autant de désinvolture. Vidocq, toujours en première ligne, prenait aussi souvent les coups et les blessures. "La police, disait-il, a aussi ses champs de bataille. Je combat pour la défense de l'ordre, au nom de la justice, comme les soldats combattent pour la défense du pays sous le drapeau de leur régiment. Je n'ai pas d'épaulettes mais je cours autant de danger qu'eux et j'expose tous les jours ma vie comme eux. 

    Dix-sept ans de cette vie ont passé. Vidocq a gagné beaucoup de bataille mais sa guerre contre le crime n'est pas finie. A Paris, en France, ses ennemis sont devenus suffisamment nombreux pour penser que le temps est venu de se débarrasser de lui.

    La France de 1817 se cherche des têtes de Turc. Les mécontents sont ombreux. Ils veulent des coupables. François Vidocq est une cible toute désignée. La police n'est-elle pas la meilleure complice du régime ?

    Le premier chef de la "sûreté" française a toujours fait son métier sans se soucier de la politique mais cela ne le met pas à l'abris des remous qui secouent les dernières années de la Restauration.

    Le 20 juin, Vidocq reçoit une lettre du préfet de Paris l’accablant de reproche. Vidocq n'est pas habitué aux reproches. Depuis 17 ans, ses chefs n'ont jamais cessé de louer ses activités. Par retour du courrier; de sa plus belle plume, il répond à son supérieur : "Pour vous éviter, Monsieur, la peine de m'adresser de semblables lettres dans l'avenir et pour m'épargner le désagrément de les recevoir, j'ai l'honneur d'accepter ma démission. (signé) Vidocq.

    Le lendemain, le Tout-Paris s'étonne de cette soudaine démission. On s'interroge. Le prestige de Vidocq est encore énorme, surtout chez l'homme de la rue. Mais les autorités vont s'évertuer à assombrir quelques peu son auréole : elles laissent entendre qu'une certaine opulence avait considérablement ralenti le zèle du commissaire.

     Sans doute, Vidocq n'est-il pas complètement démuni. Deux ans plus tôt, il s'est fait construire à Saint-Mandé une confortable villa, décorée avec goût. Mais le commissaire Vidocq, toujours dans la force de l'âge, il a 52 ans, n'entend pas croupir dans sa retraite et il veut d'abord venger l'affront qu'on vient de lui faire subir. Il tient une vengeance toute prête, qui fait déjà trembler beaucoup de monde. Il publie ses Mémoires : quatre volumes qui feront un succès mondial. La vérité historique n'y trouve pas tout à fait son compte, mais Vidocq n'y est pour rien. Un éditeur peu scrupuleux est passé par là. Vidocq, furieux au début, se laissera convaincre par l'argument financier. 

    Le commissaire déchu décide alors de devenir un homme d'affaire. Autour de sa villa, il a fait construire des ateliers dans lesquels il fabrique du papier. Il se livre notamment à des recherches sur un papier spéciale, infalsifiable par les faux-monnayeurs. Sa main d'oeuvre est uniquement composée d'anciens bagnard. Mais le nouveau châtelain de Saint-Mandé ne connaîtra pas la paix au fond de sa retraite. On lui cherche misère à tout propos : la fumée de son usine, la férocité de ses chiens, le voisinage dangereux et sa bande de malfaiteurs repentis, à qui l'on impute tous les larcins commis dans la région. Vidocq triomphe cependant sans trop de peine de toutes ces petites mesquineries, mais il comprend qu'il n'est pas encore fait pour la passivité d'une petite vie de retraité. 

    A Paris, les événements vont vite. Le trône de Louis-Philippe bascule dangereusement. On est en 1832. Des barricades se dressent partout. Paris est en colère et il n'y a plus personne pour mater l'insurrection.

    En haut-lieu, on se souvient brusquement de Vidocq. L'heure est grave et les hommes courageux sont rares. Vidocq n'aime pas se tremper dans les événements politiques mais son hésitation n'est pas longue. Investi de la mission de rétablir l'ordre, il choisit des volontaires et monte à l'assaut des barricades. Le commissaire est devenu un général. Et là, au milieu des rues en fièvre de la capitale, Vidocq peut constater que son prestige est toujours entier. Il est resté "le mec", et, devant lui, les insurgés s’éclipsent sans demander leur reste. Au bout de deux jours, Vidocq est maître de la situation. La royauté est sauvée de justesse. Vidocq se dédommage à sa façon : de sa propre autorité, il reprend son titre de chef de la sûreté, qu'un certain Coco-Latour, son ancien adjoint lui avait emprunté. Personne n'ose s'opposer à sa décision. Le Roi lui-même est reconnaissant. Il l'invite au palais. Vidocq, qui n'a pas perdu son sens de la facétie, se présente au souverain déguisé en duchesse et pendant dix minutes lui joue une incroyable mystification. Ce gag énorme fera rire longtemps la Cour.

    Mais les ennemis de Vidocq ne désarment pas. Ce soudain retour en grâce a exacerbé leurs rancunes. Les journaux qui sont à leur service colportent sur l'ancien bagnard les plus sinistres anecdotes et les caricaturistes les plus féroces se déchaînent à leur tour.

    Sa fonction de chef de la "Sûreté" amenait souvent Vidocq à comparaître à titre de témoin dans les grands procès de l'époque. Presque invariablement, l'accusation ou le ministère public se retournaient contre lui et, par des manœuvres dilatoires, tentaient de le mettre en cause. De sorte que c'était plus souvent son procès qui se faisait que celui des véritables inculpés. Mais les ennemis de Vidocq durent rapidement changer de tactique. Car dans cette forme de joute oratoire, la causticité, l'humour et l'inattaquable logique de Monsieur Vidocq mettaient facilement les rieurs de son côté. Et puis Vidocq sait aussi se souvenir ; sur chacun, il connait un secret, une anecdote que l'interressé ne tient pas à voir révéler. Non, décidément, il vaut mieux ne pas donner trop souvent la parole à cet homme qui sait tant de choses terribles.

    Vidocq est pourtant conscient qu'il a mis le régime et même ses plus fidèles protecteurs dans une situation difficile. De toutes parts, on réclame sa tête. Personne pourtant n'ose lui demander sa démission. Alors, il l'offre. On l'accepte avec empressement. Six mois après son retour en fonction, Vidocq se retire sur un dernier sourire. Le lendemain, une certaine presse le fait passer pour fou. Mais Vidocq va leur prouver qu'il a tous ses esprits.

    On le chasse de la police officielle ? Il créera "sa" police à lui ! Ancien homme d'affaires il se fixe pour tâche de purger le commerce de tous les escrocs qui s'y embusquent. Son réseau d'information couvre toute la France ; il a des relations partout, dans les ministères, dans les banques, dans les ambassades. Des banquiers, des industriels, des commerçants financent aussitôt l'entreprise d’assainissement de Vidocq. En peu de temps, ce dernier est plus riche, plus puissant, plus populaire que jamais. Dans les milieux officiels, ses ennemis ont accusé durement le coup. Ils guettent la première erreur de Vidocq, le pourchassant     de tracasseries administratives. Un jour de 1837, l'épreuve de force éclate. La police légale vient perquisitionner chez son rival. On fouille le bureau de Vidocq, on confisque ses documents. Mais les adversaires de l'ancien bagnard ne pourront exploiter leur avantage. Ils ont eux-mêmes trop malmené la légalité et aucun magistrat n'ose se compromettre à les appuyer. Qu'à cela ne tienne ! La police estime avoir suffisamment d'arguments pour faire écrouer Vidocq. Et c'est ainsi que l'ancien commissaire se retrouvait pour la première fois depuis 25 ans derrière les barreaux d'une cellule.

    Son procès fait grand bruit. Il tourne vite au spectacle. Vidocq, en vieux routier de la justice, à vite fait de renverser la situation en sa faveur. Pour couper court à la confusion de ses accusateurs, Vidocq, le 3 mars 1838, est solennellement déclarer innocent de tous les chefs d'accusations portés contre lui. Vidocq fait placarder à ses frais sur tous les murs de Paris des affiches donnant sa version des faits. A 62 ans, l'infatigable " Monsieur Vidocq " reprend ses activités et sa petite guerre contre la préfecture. Sa verdeur reste exceptionnelle. Beaucoup de femme peuvent en témoigner. On se raconte dans les salons ses exploits gaillards. 

    On parle de son " harem " avec des petits rires étouffés. Il a séduit des duchesses et même des femmes de préfets. Une ou deux se sont même tuées pour lui. Son remariage en 1830 avec une cousine n'a pas tempéré ses ardeurs. On l'a surnommé " pacha ". Sur sa vie privée, Vidocq se refuse pourtant toujours à faire le moindre commentaire.

    1842 sera son année noire. Ses ennemis ont mis cette fois tous les atouts dans leur jeu pour lui briser définitivement les reins. La police officielle, son éternelle rivale, a glissé ses agents secrets dans le nombreux personnel de Vidocq. Sa comptabilité est surveillée de près. Sur faux témoignage d'un escroc facilement circonvenu, les agents de la préfecture surgissent un matin à l'aube, passent les menottes à Vidocq  et saisissent dans son officine 8 000 dossiers concernant les affaires qu'il traite avec quelques 20 000 clients. Il retourne en prison.

    Et, cette fois, les choses se présentent mal pour lui. On lui parle de bagne et même d'échafaud. 

    Le procès a lieu l'année suivante. C'est l'événement de la saison. De quoi l'accuse-t-on au juste ? La liste est longue : séquestration arbitraire, enlèvements, contraintes. On lui reproche de gagner trop d'argent. Tout ce qui a pu être interprété comme suspect dans sa correspondance est retourné contre lui. L'empoignade des avocats de la défense avec le ministère public est l'un des grands moments de l'histoire judiciaire. Mais, lorsque Vidocq se décide à plaider sa cause lui-même, c'est de l'enchantement. De ce public hostile par avance, il va arraché à sa guise des larmes et des rires. Il le met à ses pieds. Ses arguments portent comme des boulets de canon. Dans la salle, on applaudit à tout rompre. Un acquittement parait inévitable. Mais quel affront impossible pour ses rivaux ! Alors, on le condamne à cinq ans de prison et à de colossales amandes. Il faut faire évacuer le tribunal car la colère de la foule tourne à l'émeute. Mais Vidocq, ce vieux lutteur, fait aussitôt appel.

       Et cette fois, en dépit de toutes les machinations dont il est l'objet, il sortira du prétoire non seulement blanchi de toute accusation mais porté en triomphe par une foule en délire. Vexé, le préfet de police veut lui interdire le territoire de Paris. Vidocq le menace d'un nouveau procès. Cette perceptive fait reculer la préfecture qui capitule devant ce vieillard de 70 ans.

    Sa célébrité est désormais intouchable. Les plus grands écrivains de l'époque sont devenus ses amis. Alexandre Dumas, Lamartine, Eugène Sue, Balzac, Victor Hugo. Ces deux derniers ont décidé d'immortaliser son personnage : Vautrin, du premier et Jean Valjean du second sont les frères jumeaux de Vidocq, le commissaire-bagnard, qui passeront avec lui à la postérité. 

        Aventurier, détective, homme d'affaire, Vidocq est reçu partout. Il promène non sans complaisance sa hautaine prestance dans les salons à la mode. On se rassemble autour de sa crinière de lion, on l'écoute avec passion raconter mille anecdotes. Et, il sait, en se retranchant habilement derrière le secret professionnel, faire autour de lui un troublant parfum de mystère. 

    Elégant, dangereux, mystérieux, séduisant, Vidocq le restera jusqu'à la fin de sa longue existence, dont pourtant les dernières années ne lui apporteront pas le paix. Pour complaire à ses amis républicains, il acceptera de lui accorder son appui au moment des événements de 1848.

    Il y perdra toute sa fortune et se heurtera à la plus totale ingratitude lorsqu'il devra se résoudre à mendier une pension auprès des milieux officiels. Vidocq a compris que cette année 1857 sera sa dernière. Une fièvre pernicieuse le ronge. C'est sa première maladie et il a 82 ans. Il meurt paisiblement dans son lit le 12 mai. " La mort est le sommeil du pauvre " avait-il dit quelques jours plus tôt. Peu d'hommes ont emporté dans la tombe autant de secret. Aujourd'hui encore, on s'interroge sur la véritable personnalité de Vidocq, sur les raisons de son extraordinaire puissance quasi occulte. Mais il faudra se contenter de cette appréciation de Lamartine, qui était devenu le meilleur ami du bagnard repenti : " Je l'aimais comme un frère, je l'estimais et je dirai hautement que c'était un honnête homme " 

     

     

       

     

     

     

     


    votre commentaire
  • .

    Il naquit par une nuit d'apocalypse. Un destin aussi exceptionnel que le sien ne pouvait s'annoncer qu'avec la complicité du ciel et de l'enfer. La nature entière semblait se déchaîner contre les fenêtres. Le petit François-Eugène Vidocq venait au monde salué par les fracas du tonnerre.  

    Le grand suspense d'une existence tumultueuse, si pleine de drames et de rebondissement, vient de commencer. Des femmes se signent dans la pénombre avec des gestes superstitieux. Pressentent-elles que cet enfant bousculera leur tranquillité et trainera derrière lui tant de larmes, de frissons et de grincement de dents.

    Le petit François va grandir et se développer trois fois plus vite que les enfants de son âge. Le père Vidocq est boulanger. Il a du retirer de l'école ce garnement qui, à coup de poing et de pied, s'y est taillé une réputation de véritable terreur.
    C'est que le garçon a des muscles impressionnant et une taille déjà très supérieur à la moyenne. Blond, des yeux gris bleu, il ne manque pas de charme ni de prestance, il déserte le fourneau pour fréquenter les salles d'armes. Bientôt l'épée et le fleuret n'ont plus de secret pour lui. Déjà il se rend dans les cabarets et boit comme un homme en compagnie de soudards et de filles légères. Il se bagarre pour un rien. Les duels, il les collectionnes avec désinvolture. N'est-il pas invincible ? Déjà, toutes les femmes sont folles de lui et les hommes le craignent.
     

    François a très vite comprit l'importance de l'argent. Il puise allègrement dans la caisse de la boulangerie paternelle. Mme Vidocq cache la clé. Ce n'est pas assez pour arrêter un garçon aussi doué que le futur " Monsieur Vidocq " , le prince des aventuriers français : une empreinte de la serrure, une fausse clé et le tour est joué. 

    Ce premier larcin lui permet de vivre une dolce vita de 48 heures. Dix jours de cachots seront le prix de cette incartade, qui les valait bien. Les parents l'attendent  la porte de la prison, prêt à pardonner, mais le jeune François ne promet rien. Il ne veut pas d''une existence sage, paisible, monotone.
    Le sourire énigmatique aux lèvres, il écoute paisiblement les remontrances de son père, la tête tournée vers l'horizon.

    Cette fois, c'est pus sérieux, Vidocq a volé plusieurs milliers de francs dans la caisse familiale . Et il a prit la fuite sans intention de retour

    Avant d'avoir 15 ans, il aura fait tous les métiers : mousse, saltimbanque, balayeur de cirque, montreur de marionnettes, charlatan. Un jour, il passe la porte de la boulangerie et tombe à genoux devant ses parents. Est-ce le retour définitif de l'enfant prodige ?

    Une passion bouillonne en lui : l'aventure. Un soir il annonce à ses parents qu'il veut être soldat. Il s'engage. Héroïsme et duels font partie de son quotidien. Rien ne l'arrête.  

    Vidocq fêtera ses 20 ans en prison. Il a corrigé un peu trop sévèrement un rival.
    Il n'a pas encore appris à mesurer sa force herculéenne. La prison de Lille est supportable. Il peut même recevoir sa maîtresse dans sa cellule. La liberté relative dont il jouit lui permet de fournir à d'autres détenus des documents falsifiés, qui doivent servir à la libération de l'un d'entre eux. L'affaire est grave. Menacé d'une sanction terrible, Vidocq ne songe qu'à s'enfuir. Sa maîtresse lui apportera pièce par pièce le vêtement qui doit lui permettre de s'échapper. et c'est déguisé en inspecteur en chef des prisons que le détenu se fait ouvrir la grande porte et prend la clé des champs.

    Cette fois, il est fiché comme malfaiteur dangereux. Toutes les polices de France sont à ses trousses. Quelques jours plus tard, une escouade de gendarmes se présente à son refuge. Vidocq, se faisant passer pour quelqu'un d'autre, s'éclipse un instant et boucle les pandores à double tour dans sa chambre. Un policier l'appréhende alors qu'il circule en ville en plein jour. Vidocq lui jette une poignée de cendres au visage et s'encourt. Pas pour longtemps. On sait où le trouver. Le soir même, il est arrête dans le lit de sa belle. Conduit chez le juge d'instruction, il profite d'un moment inattention de ses gardiens pour s'emparer d'un uniforme de gendarme dans un vestiaire, empoigne un autre détenu par les menottes et regagne la rue en profitant de la confusion.  

    Repris, il a droit aux chaines. Il les brises grâce à un flacon d'acide nitrique qu'une amie lui a fait parvenir. Cachot, évasion, cachot, évasion. La ronde infernale a commencé.

    Dans toutes les prison du Nord, le prestige de Vidocq grandit aux yeux des mauvais garçons. Mais Vidocq, ce grand amoureux de la liberté, ne cherche pas l'admiration à ce prix. Il sait que du côté des honnêtes gens, du côté de la justice, il a ruiné sa réputation. Derrière lui, il laisse les larmes d'une mère, la détresse d'un père et beaucoup de honte. La société se débarrasse de lui. Toutes les portes se ferment à son nez. La prison, le cachot, le bagne seront pendant des années son seul décor. Quelle est donc cette fatalité qui le pousse  et s'attache à chacun de ses gestes ? Il se sent glisser vers une pente sans fin. sans doute vas-t-il devenir le roi de l'évasion, le champion du déguisement, l'idole de la pègre ; mais son habileté même à se tirer de tous les mauvais pas se retournera contre lui : ne faut-il pas être un criminel diabolique et endurci pour mystifier ainsi toute les autorités ?

    Mais qui peut savoir à ce moment ce qui se cache de regret, de révolte, de misère et de désespoir sous la rude écorce de Vidocq le bagnard. L'homme le plus traqué de France, l'ennemi public numéro un ?

    Sa dernière mèche de cheveux est tombée sous la tondeuse. Il a revêtu l'uniforme abhorré des forçats : veste et pantalons à rayures, chaînes aux poings, chaînes aux pieds. 

    François Vidocq ne sait pas au juste de quoi il est accusé. Il sait seulement que des forces obscures se liguent contre lui pour tenter de le détruire. Cette fois, le verdict est terrible ; huit ans de bagne. " Je n'y resterai que huit jours ", se jure-t-il quand les grilles du pénitencier de Brest se referment sur lui.

    Moins d'une semaine plus tard, le canon tonnait pour annoncer sa fuite à toute la région. L'évasion de Vidocq est un nouveau chef-d'oeuvre d'audace et de sang-froid. Déguisé en loup de mer, il a franchi tous les barrages la pipe au bec.

    Arrêté le lendemain par les gendarmes, il se fait passer pour quelqu'un d'autre : un truc qui lui a déjà souvent réussi. Il se dit déserteur, se donne l'identité d'un matelot qu'il sait être mort aux îles et que sa famille recherche. Un tatouage qu'un compagnon de cellule lui a gravé à la hâte sur l'avant-bras rend la confusion possible, et Vidocq réussira même le tour de force de se faire reconnaître par les parents du disparu.

    La prison maritime lui semble douce à côté du bagne, mais il est décidément allergique aux barreaux. Il a tôt fait d'attendrir la jeune religieuse qui vient visiter les prisonniers à l'infirmerie. et c'est déguisé en bonne sœur qu'il prend une nouvelle fois la fuite. Cet accoutrement ecclésiastique l'expose à bien des situations cocasses et embarrassantes aussi.  Un curé l'invite avec insistance à rejoindre sa paroisse. des militaires en goguettes en veulent à sa vertu. Il devra rapidement changer de vêtement.

    On le retrouve toucheur de boeuf, marchand forain. mais tous les débouchés honnêtes lui sont rapidement fermés. On lui pose trop de questions. Il devient contrebandier, puis corsaire. Il n'a plus de nom, plus de papier. Il vit dans la terreur d'une rencontre, d'une dénonciation. Victime d'une rafle dans un port belge, il essaie encore de se donner une fausse identité. Les autorités, sceptiques, décident de le confronter avec sa mère. La vieille dame est en deuil. Son mari vient de mourir. Vidocq, qui ne l'a plus vue depuis une éternité, brûle de lui poser un flot de questions. Pourtant, sous le regard scrutateur des policiers, la mère et le fils se comporteront en parfaits étrangers. Ils feindront, jusqu'au bout de ce supplice, de ne pas se reconnaître. Il faudra la torture pour faire avouer sa supercherie à Vidocq et le renvoyer au bagne, à Toulon. Cette fois, avec la double chaîne des criminels hors série.

    Il emploiera des mois et des semaines à dissiper l'atmosphère de méfiance et la surveillance inlassable dont il fait l'objet. une première tentative d'évasion échoie ; il avait volé la perruque et les habits du chirurgien en chef de l’hôpital du pénitencier, mais le stratagème est découvert à la dernière minute. Quelques mois plus tard, il réussi à se faufiler à bord d'une embarcation dans la rade. Il se mêle aux matelots. Arrivé à terre, il accoste une fille de joie, joue les amoureux ! Pour quitter l'enceinte de la ville fortifiée, il se dissimule au sein d'un cortège qui suit un providentiel enterrement. Il est libre.

    Mais jamais pour longtemps. D'anciens détenus ont rapidement retrouvé sa trace. Ils se disputent ses services, le font chanter. on lui refuse le droit de vivre en honnête homme. Entre la vengeance de la pègre et la patiente obstination de la police, Vidocq ne sait plus à quel saint se vouer. Il n'est plus un coin de France où il se sente en sécurité, où il puisse prendre ce nouveau départ dont il a si souvent rêvé au cours de ses derniers mois de captivité. A une ou deux reprise, pourtant, il s'imaginera qu'un nouveau  chapitre de sa vie a commencé. Il a pu se procurer de faux papiers au nom de Bondel. Avec l'aide d'une petite mercière qu'il a facilement séduite, il a monté un commerce que son génie inventif ne tarde pas à rendre prospère. Mais les infidélités de sa compagne l'obligent bientôt à fermer boutique. Fini le beau rêve, cette illusion de confort et de tranquillité. Il erre sur les champs de foire à la recherche de n'importe quel emploi. Mais des femmes, qu'il a aimées jadis, le reconnaissent et le dénoncent pour se venger d'anciens griefs. Ramené en prison, il ne sait pas que son dossier a attiré l'attention des instances supérieures de la justice. La condamnation de Vidocq à huit ans de travaux forcés remonte à dix ans déjà. Ses évasions successives, rocambolesques, ont fini, sinon par émouvoir, du moins par intriguer les autorités. Quelques témoignages sur lesquels reposait la condamnation du bagnard ont paru fragiles, d'autres franchement suspects. Dans sa cellules, on laisse entendre à Vidocq qu'un recours en grâce pourrait être examiné favorablement. Mais le cours de la justice est lent et sinueux. Et Vidocq, qui vient de fêter ses trente ans, tout comme ses vingt ans de cellume, commence à s'impatienter.

    La fenêtre des toilettes donne sur une rivière. un soir, n'y tenant plus, il plonge dans les eaux glaciales et se sauve à la nage. Cette dernière escapade indispose les autorités. N'est-il point là le geste révélateur d'un incorrigible malfaiteur ? Une chasse à l'homme sans précédant est organisée. Mais François, qui se terre au cœur même de Paris, vient de rencontrer la femme de sa vie, qui sera aussi sa plus fidèle complice : la belle Annette.

    Auprès d'elle, il se cache sous les traits d'un bourgeois cossu. Elle lui a confié la gérance d'un commerce de textiles ; et Vidocq, qui a décidément le sens des affaires, devient riche en quelques mois. C'est une erreur. La pègre, mieux renseignée que la police a vite fait de rendre son vrai nom au prospère M. Blondel. Et c'est à nouveau le cycle infernal : chantage, menaces. En quelques semaines, Vidocq aux abois, est ruiné. Il doit reprendre la fuite. Il a cependant pris goût au commerce et tente de monter en province des spectacles de fêtes foraines.

    Un beu matin, sur la route de Lyon, il se voit soudain encerclé par une demi-douzaine de bandits de grand chemin, qui le dévisagent d'un air peu engageant. Vidocq comprend bientôt que l'on a volé pendant la nuit la bourse du chef de la bande et qu'on le soupçonne. Six pistolets sont pointés sur lui. Vidocq ne perd pas son sang froid et sollicite, avant de mourir quelques mots d'entretien en aparté avec le chef des pirates. Celui-ci ayant accepté, le bagnard lui propose ce stratagème : faire tirer au sort par chacun des bandits une paille. Celui qui aurait la paille la plus longue serait désigné comme étant le voleur. Bien entendu, toutes les pailles qui sont présentées aux malandrins sont de même longueur. Pourtant, quant vient la minute de vérité, l'un des hommes montre une paille raccourcie et se trahit du même coup. La bourse du chef est retrouvée dans ses bagages. Émerveillé, le capitaine des pirates propose à Vidocq de devenir son lieutenant. Ce dernier a quelque mal a décliner l'invitation. Personne ne veut donc comprendre sa vocation d'honnête homme ? Il se sauve. Pour retomber un peu plus loin dans un autre guet-apens : la police, cette fois, qui agit sur dénonciation.

    Vidocq plonge du haut d'un pont dans les eaux noires du Rhône. On le poursuit sur l'autre rive. La chasse à l'homme dure toute la nuit. Un peu avant l'aube, Vidocq transi, frigorifié, est arrêté sur un toit, caché dans une cheminée. C'est un homme résigné, fataliste qui se laisse passer les menottes.

    Pourtant, en cette nuit de 1809 qui précede son inévitable retour au bagne de Toulon, François Vidocq prend une décision capitale. Il sollicite de la façon la plus pressante une entrevue immédiate avec le commissaire qui dirige la deuxième division de la préfecture de police de Paris. Les autorités de la prison de Bicêtre, où il a été incarcéré en attendant son transfert, se laissent attendrir par les accents de sincérité du bagnard et obtiennent pour lui l'entrevue demandée... 

    Le commissaire Henry dévisage longuement l'homme qui vient d'entrer dans son bureau. C'est un gaillard immense qui dégage une impression de force colossales. dans son regard gris d'acier, beaucoup d'énergie mais pas d'arrogance. Le roi de l'évasion est un homme calme, qui s'exprime sans difficulté. Son maintien est aisé. de l'air le plus naturel du monde, il annonce sans détour au commissaire stupéfait : 

    " Je suis venu vous offrir mes services "

    Et sans lui laissé le temps d'avancer une objection, Vidocq lui expose son plan, des théories pour démasquer en un temps record tous les criminels de France.

    " La police, dit-il, est toujours répressive, jamais préventive. Elle n'offre donc pour les honnêtes gens qu'une efficacité relative. Alors que si vous m'en donniez les moyens, avec l'aide de quelques hommes avertis, je pourrais, grâce aux renseignements dont je dispose sur le monde de la pègre, mettre bon nombre de malfaiteurs hors d'état de nuire avant même qu'ils n'aient commis leurs forfaits. "

    Subjuguer mais séduit, le commissaire Henry pose enfin la question qu'il attend : " Si je comprend bien, c'est à vous même que vous songez pour creer une telle police ? " La réponse de Vidocq est directe " Oui Monsieur, je m'en sens parfaitement capable "

     

    Il n'y a pas l'ombre d'une forfanterie dans ses propos. M. Henry jette sur le bagnard un dernier regard aigu et investigateur . Tant d'assurance ne peut être feinte. Le commissaire avance quelques objection. Pour la forme, car il a déjà son opinion. Vidocq a un argument pour chacune. Un sourire, peut être le premier sourire de sa vie, éclaire sa face lorsqu'il entend le commissaire passer sans transition à l'aspect pratique de l'opération. Pour ne pas attirer les représailles immédiates du " milieu ", il faudra déguiser la liberté de Vidocq en évasion. Seul le commissaire et le préfet seront au courant de la vérité. Sur le chemin du retour vers la prison, le bagnard, redevenu honnête homme,  n'a aucune difficulté pour assommer ses gardiens et prendre le large. Mais pour cette évasion là, il ne sera jamais poursuivi. L'homme le plus persécuté de France va devenir le plus crains et le plus respecté de France. Bientôt, il s’appellera "Monsieur Vidocq ". Et puis, le "Commissaire Vidocq"

     

     

       

     

     


    votre commentaire
  •  

     

    La grande peur de 1910

    Pendant deux mille ans, les comètes ont suscité des réactions de peur, de panique, en Occident. Les Chinois, les Japonais et les Coréens, pour leur part, établissaient des liens entre le déplacement de ces astres et le pouvoir de leurs gouvernants mais le peuple ne s'y interessait guère. Notons également que c'est sous l'influence des religions proche-orientales que l'astrologie s'est implantée vers le troisième siècle avant notre ère, dans les pays méditéranéens. Avant cette époque, en effet, les Grecs, les premiers imprégnés par l'esprit scientifique, considéraient les comètes comme de simples phénomènes naturels.

    Durant tout le Moyen Age, l'apparition d'astres chevelus, souvent décrits de manière extravagante, annonçait la guerre, la mort du souverain ou des épidémies de peste.

    La grande peur de 1910

     En ce qui concerne la comète de Halley, notons que le passage de 451 coïncida avec la défaite d'Attila par Aetius et que celui de 1066 précéda de peu la conquête de l'Angleterre par Guillaume, duc de Normandie.

    Pendant les temps modernes, cette peur ne s'estompa que graduellement, même après le XVIIIè siècle, lorsque les astronomes découvrirent que ces objets figuraient parmi les plus modestes - leur diamètre est évalué à une dizaine de km - du système solaire et que leur approche vers le Soleil ne pouvait en aucune manière influencer le cours des innombrables évènements se déroulant sur notre planète.

    La grande peur de 1910

    Et pourtant en 1910, alors que la physique moderne était en plein essor, une certaine inquiétude renaît. Car, d'après les calculs des astronomes, la trajectoire de la comète de Halley, serait telle que la Terre devait traverser la queue vers le 15 mai.
    Or l'immense appendice cométaire contient diverses substances gazeuses, dont du cyanogène, considéré comme dangereux pour les êtres vivants.

    Quelques scientifiques émirent l'hypothèse qu'une contamination de l'atmosphère terrestre pourrait entraîner quelques modifications de l'environnement. Cette simple suggestion suffit à faire naître des sentiments de crainte et même d'effroi.
    Les experts eurent beau démontrer que la densité régnant au sein des queues était des milliards de fois plus faible que celle de notre planète au sol et qu'elle était comparable au vide dans lequel évoluent aujourd'hui les satellites artificiels, le mot
    " fin du monde " vint à la bouche des plus ignorants.

    La grande peur de 1910

    L'obsession d'une possible contamination de l'air par le cyanogène devint telle que les marchands de masques à gaz firent fortune des deux côtés de l'Atlantique ; des pilules ou des potions " anti-comète " se vendirent comme des petits pains.

    En France, en Italie, en Allemagne, des " fête de la comète " sont organisées un peu partout. A Cologne, une décision de police permet aux établissements de rester ouverts, toutes la nuit du 18 au 19 mai, à la date présumée du passage à travers la queue.

    En Autriche, instituteurs et prêtres sont appellés à apaiser les craintes exprimées par les paysans les plus crédules.

    La grande peur de 1910

    Dans un article publié dans le remarquable numéro de la revue belge
    " Ciel et Terre " tout entier consacré aux " comètes et à la comète de Halley ",
    M. H. Dupuis, rédacteur en chef de " Liège Université " retient quelques extraits de presse démontrant que dans notre pays, l'évènement fut vécu le plus souvent avec bonne humeur.

    " A la Louvière, lisait-on dans la gazette de Liège ", un individu qui avait revétu des vêtements de femme se promenait au milieu du pavé, tenant d'une main un sac, de l'autre deux tubes de fer blanc qu'il dirigeait vers le ciel en guise de lunette. Il criait à tout les échos : " Je suis la comète ! ". Deux agents de police conduisirent
    l' " astre chevelu" au poste de police. L'annonce de la fin du monde et de nombreux verres d'alcool lui avaient fait perdre la tête. "

    La grande peur de 1910

    A liège, la Cité ardente, l'angouement est extraordinaire comme le décrit
    " La Meuse " : " Dans tous les milieux, on ne parle que de la comète et on se promet, cette nuit, de se mobiliser : père, mère et enfant ! On escaladera les hauteurs de Cointe ou l'on ira jusqu'au parc de la Citadelle. Les opticiens ont dû faire fortune car tous les contribuables, intrigués par les allures vagabondes de la comète, se sont munis de jumelles. On nous assure que le stck de lentilles d'Iéna est complètement épuisé. "

    Mais la déception fut grande car la pluie et l'orage gâchèrent la nuit tant attendue et plusieurs jours s'écoulèrent avant que le ciel ne se dégage et que l'astre, peu lumineux, ne se manifeste. Comme l'écrivait " La Meuse " :

    " Seuls quelques noctambuls intrépides auront rendu grâce à l'astre fugitif
    et " lalitant " qui, une fois n'est pas coutume, leur aura servi à justifier une veille prolongée et de nombreuses libations. "

    La grande peur de 1910

    A ce propos, citons cette mésaventure relatée par la revue " Gil Blas ", et plaisamment narrée par M. Dupuis :

    "Madame attend impatiemment monsieur. Enfin vers 3 h du matin, il rentre et réveille malheureusement sa femme qui lui demande aigrement d'où il vient.
    " Moi ? Mais je te l'avais dit : voir la comète à l'Observatoire. "
    " Tu l'as vue ? " Lui, pensant à la danseuse qu'il vient de quitter :
    " C'était un astre flamboyant, avec une longue queue, des aigrelettes lumineuses. Superbe ! " Et sa femme de lui pardonner. Hélas ! Le lendemain tout se gâte à la lecture des journeaux qui annoncent tous, en première page, qu'il a été impossible de voir quoi que ce soit ! Et madame de décider que, à partir de ce moment, Monsieur ne sortirait plus seul. Et lui de grommeler : " Maudite comète ! Et dire que j'en ai pour 75 ans avant de pouvoir découcher ! "

    La grande peur de 1910

    Ajoutons en guise de conclusion que finalement, la Terre " manqua " la queue de la comète de Halley de quelques 400 000 km mais il s'est avéré que, quelques siècles plus tôt, notre planète traversa sans encombre la masse gazeuse d'une autre comète.

    Extrait d'un article écrit par Guy Devos dans le journal "La Meuse " le 11 décembre 1985 

      


    votre commentaire


    Suivre le flux RSS des articles de cette rubrique
    Suivre le flux RSS des commentaires de cette rubrique