• La grande peur de 1910

     

     

    La grande peur de 1910

    Pendant deux mille ans, les comètes ont suscité des réactions de peur, de panique, en Occident. Les Chinois, les Japonais et les Coréens, pour leur part, établissaient des liens entre le déplacement de ces astres et le pouvoir de leurs gouvernants mais le peuple ne s'y interessait guère. Notons également que c'est sous l'influence des religions proche-orientales que l'astrologie s'est implantée vers le troisième siècle avant notre ère, dans les pays méditéranéens. Avant cette époque, en effet, les Grecs, les premiers imprégnés par l'esprit scientifique, considéraient les comètes comme de simples phénomènes naturels.

    Durant tout le Moyen Age, l'apparition d'astres chevelus, souvent décrits de manière extravagante, annonçait la guerre, la mort du souverain ou des épidémies de peste.

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     En ce qui concerne la comète de Halley, notons que le passage de 451 coïncida avec la défaite d'Attila par Aetius et que celui de 1066 précéda de peu la conquête de l'Angleterre par Guillaume, duc de Normandie.

    Pendant les temps modernes, cette peur ne s'estompa que graduellement, même après le XVIIIè siècle, lorsque les astronomes découvrirent que ces objets figuraient parmi les plus modestes - leur diamètre est évalué à une dizaine de km - du système solaire et que leur approche vers le Soleil ne pouvait en aucune manière influencer le cours des innombrables évènements se déroulant sur notre planète.

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    Et pourtant en 1910, alors que la physique moderne était en plein essor, une certaine inquiétude renaît. Car, d'après les calculs des astronomes, la trajectoire de la comète de Halley, serait telle que la Terre devait traverser la queue vers le 15 mai.
    Or l'immense appendice cométaire contient diverses substances gazeuses, dont du cyanogène, considéré comme dangereux pour les êtres vivants.

    Quelques scientifiques émirent l'hypothèse qu'une contamination de l'atmosphère terrestre pourrait entraîner quelques modifications de l'environnement. Cette simple suggestion suffit à faire naître des sentiments de crainte et même d'effroi.
    Les experts eurent beau démontrer que la densité régnant au sein des queues était des milliards de fois plus faible que celle de notre planète au sol et qu'elle était comparable au vide dans lequel évoluent aujourd'hui les satellites artificiels, le mot
    " fin du monde " vint à la bouche des plus ignorants.

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    L'obsession d'une possible contamination de l'air par le cyanogène devint telle que les marchands de masques à gaz firent fortune des deux côtés de l'Atlantique ; des pilules ou des potions " anti-comète " se vendirent comme des petits pains.

    En France, en Italie, en Allemagne, des " fête de la comète " sont organisées un peu partout. A Cologne, une décision de police permet aux établissements de rester ouverts, toutes la nuit du 18 au 19 mai, à la date présumée du passage à travers la queue.

    En Autriche, instituteurs et prêtres sont appellés à apaiser les craintes exprimées par les paysans les plus crédules.

    La grande peur de 1910

    Dans un article publié dans le remarquable numéro de la revue belge
    " Ciel et Terre " tout entier consacré aux " comètes et à la comète de Halley ",
    M. H. Dupuis, rédacteur en chef de " Liège Université " retient quelques extraits de presse démontrant que dans notre pays, l'évènement fut vécu le plus souvent avec bonne humeur.

    " A la Louvière, lisait-on dans la gazette de Liège ", un individu qui avait revétu des vêtements de femme se promenait au milieu du pavé, tenant d'une main un sac, de l'autre deux tubes de fer blanc qu'il dirigeait vers le ciel en guise de lunette. Il criait à tout les échos : " Je suis la comète ! ". Deux agents de police conduisirent
    l' " astre chevelu" au poste de police. L'annonce de la fin du monde et de nombreux verres d'alcool lui avaient fait perdre la tête. "

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    A liège, la Cité ardente, l'angouement est extraordinaire comme le décrit
    " La Meuse " : " Dans tous les milieux, on ne parle que de la comète et on se promet, cette nuit, de se mobiliser : père, mère et enfant ! On escaladera les hauteurs de Cointe ou l'on ira jusqu'au parc de la Citadelle. Les opticiens ont dû faire fortune car tous les contribuables, intrigués par les allures vagabondes de la comète, se sont munis de jumelles. On nous assure que le stck de lentilles d'Iéna est complètement épuisé. "

    Mais la déception fut grande car la pluie et l'orage gâchèrent la nuit tant attendue et plusieurs jours s'écoulèrent avant que le ciel ne se dégage et que l'astre, peu lumineux, ne se manifeste. Comme l'écrivait " La Meuse " :

    " Seuls quelques noctambuls intrépides auront rendu grâce à l'astre fugitif
    et " lalitant " qui, une fois n'est pas coutume, leur aura servi à justifier une veille prolongée et de nombreuses libations. "

    La grande peur de 1910

    A ce propos, citons cette mésaventure relatée par la revue " Gil Blas ", et plaisamment narrée par M. Dupuis :

    "Madame attend impatiemment monsieur. Enfin vers 3 h du matin, il rentre et réveille malheureusement sa femme qui lui demande aigrement d'où il vient.
    " Moi ? Mais je te l'avais dit : voir la comète à l'Observatoire. "
    " Tu l'as vue ? " Lui, pensant à la danseuse qu'il vient de quitter :
    " C'était un astre flamboyant, avec une longue queue, des aigrelettes lumineuses. Superbe ! " Et sa femme de lui pardonner. Hélas ! Le lendemain tout se gâte à la lecture des journeaux qui annoncent tous, en première page, qu'il a été impossible de voir quoi que ce soit ! Et madame de décider que, à partir de ce moment, Monsieur ne sortirait plus seul. Et lui de grommeler : " Maudite comète ! Et dire que j'en ai pour 75 ans avant de pouvoir découcher ! "

    La grande peur de 1910

    Ajoutons en guise de conclusion que finalement, la Terre " manqua " la queue de la comète de Halley de quelques 400 000 km mais il s'est avéré que, quelques siècles plus tôt, notre planète traversa sans encombre la masse gazeuse d'une autre comète.

    Extrait d'un article écrit par Guy Devos dans le journal "La Meuse " le 11 décembre 1985 

      


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