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Metropolis (1927) - Fritz Lang
En 2027, Metropolis, gigantesque cité verticale, est divisée en deux : dans les hauteurs, les dirigeants, classe oisive vivant dans les jardins fleuris ; en bas, le domaine des machines et de l'énergie, les ouvriers réduits à une caste d'esclaves. Le jeune Freder, fils de Joh Fredersen, le maître de la Cité, ignore tout de cette situation jusqu'au jour où, séduit par Maria, jeune ouvrière aperçue par hasard, il la suit dans les enfers des sous-sols, jusque dans les catacombes où la jeune fille prédit l'arrivée d'un intercesseur qui instaurera l'égalité entre les hommes.
De son côté, le savant Rotwang a fabriqué un robot à qui il ne manque que figure humaine. Les deux hommes ayant espionné une réunion clandestine, Fredersen ordonne au savant de donner à sa créature le visage de Maria afin qu'elle manipule les travailleurs, les incitants à la révolte, ce qui permettra de mieux les briser. Mais programmer par Rotwang, Maria pousse les esclaves à détruire les machines ce qui a pour résultat d'inonder la cité souterraine.Il y a deux films dans Métropolis. Un monument esthétique dont les premiers plans de la ville, l'Urbs édifiée par les esclaves, donnent la mesure du gigantisme et de la splendeur de ses décors : gratte-ciel inouïs criblés d'enseignes lumineuses et partages par des canyons profonds reliés par des passerelles où circulent une nuée de véhicules, tandis que des avions volent avec nonchalance entre les façades. Une vision directement inspirée par un voyage que le réalisateur fit à New York en 1924 : " En visitant New York, j'ai pensé que c'était le creuset de multiples et confuses forces humaines aveugles, se bousculant l'une dans l'irrésistible désir de s'exploiter, et vivant ainsi dans une anxiété perpétuelle. J'ai passé la journée entière à marcher dans les rues. Les immeubles semblaient être un voile vertical, scintillant et très léger, une luxueuse toile de fond suspendue au ciel sombre pour éblouir, distraire, hypnotiser. La nuit, la ville ne faisait pas que donner l'impression de vivre : elle vivait, comme vivent les illusions. "
D'où l'autre aspect de la ville, inversé, ses sous-sols laborieux où une armée de travailleurs-esclaves à la démarche mécanique quand ils se rendent au travail, aux gestes millimétrés d'horloge quand ils sont montrés littéralement crucifiés à les cadrans géants dont ils manipulent les aiguilles, paraissent être des robots dévorés vifs : ainsi de ce plan emblématique et célèbre où l'entrée de l'usine souterraine se transforme en Moloch à la gueule grande ouverte. Mais il existe aussi un troisième niveau, les catacombes où comme les chrétiens s'y réfugiant au temps des persécutions romaines, les travailleurs se réunissent pour écouter Maria, la porteuse de bonne, puis de mauvaise parole. Ici, l'on tombe dans un décor sombre et barbare où seule une haie de croix dressés apporte une faible lueur d’espérance. Tout l'enjeu de l’expressionnisme, qui baigne et sculpte le film, est là : les forces de l'ombre minant la lumière, le désordre se nourrissant en profondeur d'un ordre qui n'est qu'apparence et faux-semblants, tout comme l'ordre-chevaleresque des Nibelungen suscitait les barbares qui le détruiront.
Mais il existe un second film sous le premier, un message caché dans l'ordre d'acier puis dans le chaos, dès lors que la révolte des esclaves aura éclaté, que les machines seront détruites, que l'eau envahira les quartiers ouvriers . Un message singulièrement incohérent - un robot à l'image va pousser à la révolte les travailleurs, provoquant une inondation qui les submergera et les anéantira - mais au sens in fine dévoilé quand l'amour de Fredersen pour Maria arrangera tout, la jeune femme forçant le maître de la ville et son contremaître à se serrer la main sur le parvis d'une cathédrale. C'est la fameuse morale du film voulue par le scénariste, Thea von Arbou, alors épouse du réalisateur, à savoir qu'il y a un médiateur entre les mains et le cerveau : le cœur.
Une fin idéaliste et paternaliste que Lang n'a jamais acceptée : " J'ai souvent déclaré que je n'aimais pas Metropolis, et cela parce que je ne peux pas accepter aujourd'hui le leitmotiv du film. Il est absurde de dire que le coeur est l'intermédiaire entre les mains et le cerveau, c'est-à-dire, bien sûr, entre l'employé et l'employeur. Le problème est social, non moral " On peut considérer que la fabrication du film a été aussi un combat typiquement expressionniste, celui du texte contre les images qu'il cherchait à édulcorer. Certes, Wells a pu déclarer que " Metropolis était un film à peu près complètement idiot ", et Bunuel de renchérir : " Metropolis, ce sont deux films collés par le ventre mais avec des nécessités spirituelles divergentes, d'un extrême antagonisme. "
Il n'empêche que le combat était perdu d'avance, tant la force visuelle du film rend aujourd'hui caduc le discours embrumé du scénario. Le flash-back sur l'édification dela tour de Babel où des milliers d'esclaves au crâne rasé tirent d'énormes blocs de pierre ; la fabrication du robot dans l'antre frankensteinien de rotwang, alors que le magnifique androïde femelle se transforme au milieu des éclairs, en une seconde Maria qui lui a servi de modèle ; la danse hystérique de la fausse Maria déguisée en princesse assyrienne au milieu des bourgeois qui veulent inutilement la toucher ; la cataracte qui noie le quartier ouvrier, la vraie Maria et Fredersen se retrouvant réunis sur un fragile promontoire entouré d'un cercle de mains se tendant vers eux : autant de séquences magnifiques et d'un dynamisme incandescent, aux mouvements de foules virtuoses, à mille lieues du statisme ordinairement dévolu à l'expressionnisme. Metropolis fut et reste unique, dans sa démesure comme dans ses errements.
Sorti en Allemagne en janvier 1927, le film reste le plus coûteux jamais entrepris dans son pays (30 millions d'euros actuels), conçut par la UFA comme une offensive majeure contre Hollywood. Son tournage s'étala sur 9 mois et nécessita 36 000 figurants (dont 750 enfants, 1 000 noirs, 25 Chinois et 1 000 crânes rasés).
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